Alukus de Guyane et du Bénin,
Simonet sur les traces de ses ancêtres
Mobilité Bénin 20-26 avril 2019
© Cécile Benoist, Avril 2019 – Projet K2 IDEM – Erasmus + / Samba Résille

Brève histoire des Alukus de Guyane

Les ancêtres des Alukus de Guyane étaient des esclaves d’Afrique de l’Ouest qui ont marronné, ils se sont enfuis des plantations où ils étaient captifs. Poursuivis, ils ont dû se défendre pour conserver leur liberté durement reprise. Le marronnage, c’était pour résister à l’esclavage, mais aussi pour « se reconstituer, se reconstruire », dira Simonet.

Réfugiés dans la forêt, ces individus à nouveau libres se sont effectivement constitué une nouvelle identité, issue du mélange de plusieurs ethnies africaines, et intégrant leur épreuve de l’esclavage. La langue est en partie reconstituée et en partie renouvelée. Les esclaves n’ayant pas le droit de parler leur langue, des éléments se sont perdus, d’autres ont été apportés par des membres de plusieurs ethnies. Tout comme pour la religion, le mode de vie, la musique, les chants… Tous ces pans de la culture ont subi des transformations liées aux conditions de capture des esclaves (séparation des familles), au mode de vie dans les plantations (interdiction ou tolérance pour certaines pratiques) et à la « fusion » des cultures des membres de différentes ethnies qui se sont regroupées dans leur fuite.

Poursuivis, les Alukus se sont réfugiés dans la forêt profonde où ils se sont liés avec les Wayanas, des Amérindiens d’Amazonie. Ceux-ci les ont aidés à s’adapter à la vie dans cet environnement. Puis les Alukus se sont installés sur les rives du fleuve Maroni.

En Guyane, « Bushinengue » est un terme générique qui désigne plusieurs ethnies dont les ancêtres étaient des negmarrons : Alukus (ou Boni), Saramaca, Paramaka, Djuka (ou Aukan). Les Bushinengue représentent 70 000 personnes en Guyane et 120 000 au Suriname. Ils ne reconnaissent pas la frontière entre les deux pays.

Premières connexions

Dès son premier réveil au Bénin, Simonet Doudou, membre de l’équipe de Guyane et chef coutumier aluku du village de Boniville sur le Haut Maroni, installe un lieu de culte provisoire au pied d’un arbre, tout près du bâtiment où nous dormons. Il y fait une brève cérémonie, pour demander aux ancêtres d’ici et du Haut Maroni que ce projet soit une réussite.

Après le petit déjeuner, nous nous rendons pour notre séance de travail dans le centre culturel, artistique et touristique qui s’appelle « Ouadada », qui signifie ici « Bienvenue ». Or, dans le Maroni, on dit « Ouada » pour souhaiter la bienvenue aux visiteurs, et le nom d’artiste de Cécilon Dada, autre participant à la mobilité, musicien reggae, est « Ouadada » ! Des similitudes qui en augurent bien d’autres…

L’après-midi, Gérard, directeur de Ouadada, nous fait visiter les places vaudous de la ville de Porto-Novo réhabilitées par l’intermédiaire de son centre et mises en valeur par des artistes béninois. Un prêtre vodun réalise alors une petite cérémonie et invite Simonet à formuler silencieusement un souhait. Il nous dira plus tard qu’il a demandé de pouvoir rencontrer des Alukus d’ici. Il constate aussi la proximité des rites mortuaires d’ici et de là-bas : « On n’a pas autant de choses mais on a le même résultat. » Et il remarque la similitude entre le Roi visité en fin de journée et le « Grand Mon ».

À la recherche des Alukus du Bénin

Le jour suivant, alors que nous parcourons la capitale pour découvrir le patrimoine architectural afro-brésilien, Simonet s’entretient avec une Béninoise sur le marché. Elle lui confirme qu’il y a bien des « Alukus » dans la ville.

Les équipes se rendent le lendemain à Ouidah, la ville d’où partaient les esclaves. Pour de nombreux participants au projet, cette journée est particulièrement forte en émotions. Fouler ces lieux fait vibrer les êtres que nous sommes, questionne notre origine, notre histoire, notre identité, participe à notre voyage intérieur. Beaucoup, comme les Alukus de Guyane ou des Brésiliens, ont des ancêtres qui ont subi ces épreuves et effectué la terrible traversée. Ici, l’Histoire de l’humanité marquée par l’esclavage résonne avec l’histoire des individus.

Sur le chemin du retour, Simonet confie son désir intense de rencontrer des Alukus du Bénin avant de repartir. Il veut « prendre des nouvelles de la famille ». Et le soir, les Guyanais jouent sur leurs percussions traditionnelles pour remercier les divinités de leur accueil.

La rencontre

Grâce à Gérard, le directeur du centre Ouadada, une rencontre est organisée entre Simonet et un Aluku du Bénin. Deux personnes de Samba Résille, Simonet, Gérard et notre « intermédiaire » nous rendons dans un bar de la ville. Nous apprenons alors que la personne que nous attendons s’appelle plus exactement « Minakode Aluku », un député très apprécié de la population.

Simonet nous en dit alors un peu plus sur ses ancêtres. En Guyane, les Alukus ont gardé la mémoire des noms. Ils ont été déportés au Suriname, ont fui, ont été pourchassés. Ils se sont défendus avec quelques armes, couteaux, sabres et… mysticisme. Alors qu’ils fuyaient dans la forêt, ils se sont liés avec les Boni avec qui ils ne forment qu’une seule famille. Ces esclaves venus du Nord du Bénin étaient des guerriers. Puis, les Alukus ont rencontré les Wayanas en remontant le fleuve pour aller vers une zone plus sûre. Et s’il y a eu quelques conflits entre eux, ils ont fini par s’entendre et par se soutenir.

Le député « Aluku » arrive. Simonet lui raconte l’histoire des Alukus de Guyane, cite les villages dans lesquels ils vivent, qu’ils ont créés. S’ensuit une digne embrassade et Simonet sort sa tenue traditionnelle tandis que Gérard explique le projet IDEM. Le député ne parle pas français, Gérard assure la traduction. Le député précise qu’il est content de nous voir. Le contexte des élections dans les prochains jours ne lui permet pas de faire autant qu’il le souhaiterait, affirme qu’il viendra en Guyane pour rencontrer sa famille. Il est touché par la démarche de Simonet et aurait voulu lui faire rencontrer les différentes branches des Alukus. Simonet est très ému. Le député affirme que le vodun va aller vers Simonet.

Les mots manquent à Simonet : « Les mots que j’ai dits doivent l’emporter sur ce que j’ai oublié de dire. » Pour lui, la cérémonie qu’il a fait à son arrivée a produit « un bon effet ». Simonet dresse aussi le portrait de Boni qui a combattu aux côtés des Alukus, qui s’occupait des femmes et des enfants, et était un grand guerrier. Il parle de la rivière « Aluku Liba », c’est la conquête qui a fait que le fleuve porte ce nom.

Pour le député, c’est grâce au vodun que les Alukus sont tolérants, et s’ils en prennent soin, ils seront riches. Simonet parle du bois et de l’or sur le territoire guyanais aluku, dont ils ne profitent pas. Mais maintenant que Simonet est venu, il va être riche car « le vodun apporte la richesse », affirme le député.

Nous reprenons la voiture et nous sommes conduits à la bibliothèque « Leaders solidaires de Mededjonou », dont le député est un gros donateur. Un instituteur vient nous la présenter.

Puis nous repartons et nous nous enfonçons dans les villages vers la frontière avec le Nigéria pour rejoindre la maison du député. Nous la reconnaissons immédiatement : un immense bâtiment à trois étages qui côtoie de modestes habitations juste à côté. Sur la terrasse, de grands portraits des parents, oncles et tantes du député attirent le regard. Il nous les présente et Simonet les prend en photo. Après nous avoir introduits dans le salon, le député effectue plusieurs va-et-vient. Nous comprenons qu’il bouleverse son emploi du temps (nous sommes à deux jours des élections) pour recevoir Simonet. Puis il nous invite dans une petite salle à l’extérieur, où il nous montre différentes poteries, dont chacune représente un aïeul.

Alors que nous nous apprêtons à retourner au centre Ouadada où les autres membres sont en pleins préparatifs de notre repas international, on nous annonce une nouvelle rencontre…

Un moment royal

Après le député, c’est chez le roi des Alukus que nous sommes conduits. Plus précisément, comme l’annonce l’inscription à l’entrée du palais : « Sa majesté Kpotéhoun Allanmakoun 18eme Roi d’Adjarra, intronisé le 19 octobre 2018 ». Une autre inscription liste tous les rois d’Adjarra qui l’ont précédé, jusqu’au fondateur Attawa, qui a régné de 1722 à 1749.

Après son intronisation, le roi a passé plusieurs mois dans un couvent vodun, et il est ici depuis 3 semaines. Les salutations au roi se font à genou, tête inclinée vers le sol. Simonet lui dit qu’il est heureux de le rencontrer car il ne s’y attendait pas, et il lui retrace sa quête : lorsqu’il a dit à des Béninois qu’il était Aluku, on lui a dit qu’un député s’appelait ainsi, la confirmation par la femme du marché… Alors il s’est dit qu’avec « la grâce des divinités, il allait essayer de les rencontrer ». À Ouidah, il a posé la question à un guide qui a dit qu’il allait lui faciliter la tâche, sa confiance est devenue plus forte et il en a parlé à Gérard de Ouadada et à Hamza, de Samba Résille. La rencontre n’était pas prévue, Simonet aurait voulu lui donner un présent.

Le roi demande alors à Simonet de se mettre à genou et il le bénit (Gérard assure la traduction). « Que les divinités protègent ta vie, que tu n’aies pas de malheur, que tu aies du bonheur dans ton foyer, de la joie, de la richesse. » Puis le roi bénit le député qui a permis cette rencontre avec Simonet : « Que Dieu vous rassemble, vous ne vous oublierez pas et vous vous entendrez pour toujours. » Le roi bénit le groupe, nous souhaite un retour en paix, dans la tranquillité et « que nos étoiles brillent éternellement ».

Le partage

Nous rentrons au centre Ouadada en compagnie du député qui a accepté notre invitation, de manière à échanger avec les autres membres alukus du projet, mais aussi pour partager cette rencontre avec tous les participants. Car cette mobilité au Bénin a été conçue comme un retour à la culture-source, et ces retrouvailles avec les descendants d’ancêtres communs sur le continent africain en sont un beau symbole.

Et après quelques échanges formels, cette rencontre improvisée se fait de façon spontanée et évidente pour tous : en danse et au rythme des percussions !

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